En parlant d'écriture, voici une nouvelle réalisée en cadavre exquis, avec un pote. A tour de rôle, on construit une histoire, narrative, sans trop savoir ou aller. Je vous laisse y jeter un oeil :
CADAVRE D’EXQUIS
« La pale lumière qui caressait la fenêtre rappelait l'arrière saison qui s’évanouissait peu à peu. Les chants d'oiseaux devenaient ternes et sans profondeur. Les passants arpentaient timidement la rue, emmitouflés par d’improbables étoffes bariolées. Dans le salon ne restait que le silence d'une après-midi laborieuse.
Des papiers épars jonchaient le sol jusque sous l'unique meuble de l'appartement. Et des idées inabouties voletaient dans l'air au moindre souffle.
Gérard mentait, et se mentait à lui-même.
Une forme s'anima dans ce tumulte cellulosé, l'arrachant à ses pensées. Un mouvement, un bruissement, puis plus rien. Avait-il rêvé ce mirage ? Tout cela allait il recommencer ?
Gérard se raidit et attrapa lentement une de ses savates. La forme ne bougeait plus mais il pouvait apercevoir un renflement du tas de prospectus le long du mur. Il se souleva avec précautions de son fauteuil, repoussa d'un doigt ses lunettes à la base du nez, et avança en slalom à travers les immondices qui couvraient la moquette.
Son cœur palpitait, il transpirait... de sales souvenirs lui revenaient en tête.
Enfant, déjà, il avait une manière de percevoir le monde qui lui était propre. Bien sûr chaque individu voit la vie à sa façon, mais lui, semblait vivre plusieurs mondes, plusieurs états. Routine, rêves éveillés, dimensions ... Ses délires l'arrachaient régulièrement de ses activités quotidiennes pour le plonger dans la confusion la plus totale. Ainsi, il ne savait clairement distinguer ce qui était, disons, rationnel, et ce qui n'était aux yeux des autres que de la pure fantaisie.
La notion de réalité est fluctuante. Lui même ne pouvait faire la part des choses. Convaincu par ses expériences, convaincu par les sanctions dont il avait fait l'objet, et, finalement, complètement perdu.
Cette confusion lui valu quelques déboires sans nom. On l'avait jugé dangereux, puis isolé du monde à plusieurs reprises, dans des endroits spécialisés. Les médecins avaient conclu leurs diagnostics en assignant à Gérard une forme de maladie mentale connue, conscience tranquille. Définitivement classé. Pourtant, il se souvenait bien des blessures qui lui avaient été infligées par ses monstres qui le traquaient et le harcelaient. Il s'était fait balafrer le visage à plusieurs reprises, s'était fait briser des os, sans compter les hématomes...
Les blessures sont tangibles et douloureuses. Ses traqueurs voulaient le faire souffrir, il le savait. Il avait simplement dû se défendre, se préserver coute que coute.
Ces souvenirs le rassirent dans le fauteuil. La forme ne bougeait toujours pas, et de toute façon il s'était levé trop vite : la tête lui tournait.
Il ne lâchait pas la savate qu'il avait même plutôt tendance à broyer de plus en plus d'une main crispée. Sa respiration s'accélérait progressivement et son corps ne tenait plus en place, comme traversé d'influx nerveux qui lui rappelaient des séances d'électrochocs, en plus doux, bien sûr, mais avec ce même picotement imprévisible qui l'amenait à se raidir de tout son long. Le jour allait se lever. C'était sa seule chance de trouver un peu de repos. Il verrait Claude, ne lui parlerait de rien et s'en trouverait mieux.
Mais pour le moment il fallait attendre sagement. Si seulement il n'y avait pas cette chose ... Si seulement cette sonnerie stridente pouvait cesser. On n'a pas idée de ce qu'une sonnette d'appartement peut monter à la tête lorsqu'elle est pressée sans discontinue des heures durant.
Il hurla en s’en décoller la glotte. Tout ceci n’avait aucun sens »