Andy WARHOL, « Ma philosophie de A à B et vice versa », 2007, flammarion.
« Ma philosophie de A à B et vice versa » est un livre exposant différentes anecdotes contées par Andy WARHOL, cela nous donne une idée de sa façon de penser. Ces propos ont été recueillis puis mis en forme par Pat HACKETT.
Le rapport au temps est très flou dans cet écrit : il ne suis pas de chronologie, il est écrit au présent et se constitue de nombreux dialogues. Cependant on peut dire que ces réflexions portent sur l’Amérique des années soixante, soixante-dix ; le livre datant de soixante quinze.
Le livre s’articule autour de différents thèmes, sans vraiment s’y tenir, car Andy WARHOL cultive l’art des digressions. Les thèmes mis en avant en tant que chapitres sont donc abordés tout au long du livre.
J’ai choisi de condenser les informations que nous livre Andy WARHOL selon les thèmes les plus récurrents.
Avant tout il convient de s’attarder sur le titre de l’ouvrage : « Ma philosophie de A à B et vice versa ».
Après lecture, je dirai que la philosophie de WARHOL peut se résumer par « rien et son contraire ». La vie est rien. Rien n’est rien. Tout est rien. Ce principe est énoncé à maintes reprises, il est absolu à ses yeux.
L’autre élément important du titre, A et B, situe en parti le rapport que Andy, A, entretient avec les autres, B. Il décrit B comme n’importe qui permettant de tuer le temps.
Il représente un individu, mais s’inscrit dans la masse, B est impersonnel. Cela montre un attachement très vague aux personnes qui entourent A.
« B est n’importe qui et je ne suis personne » dit-il.
La relation de A à B est distante. On pourrait simplifier en disant que A utilise B, comme B utilise A ; à la manière d’un objet.
Une seule personne a su fasciner A, une femme qu’il côtoyait du nom de Taxi. Cette fascination, WARHOL la considère comme une forme éventuelle d’amour.
Cependant Taxi n’a aucune attache affective apparente, elle obtient donc toujours ce qu’elle veut. Taxi utilise les gens comme des objets, des moyens d’arriver à ses fins. Cela marquera profondément A.
Taxi est obsédée par la possession, la collection. Cela se retrouve également chez A.
Taxi est pur égoïsme. Taxi est la négation constante. Elle ne cesse de mentir.
Ainsi, elle n’est personne et elle est tout le monde. Elle ne se confie pas aux autres.
Cela plait à A, car il a l’impression d’endosser les problèmes que les autres lui racontent.
Je pense que WAHROL à su s’inspirer de la manière d’être de cette femme, afin d’obtenir ce qu’il voulait et de ne pas être affecté par le monde extérieur.
Concernant le domaine sentimental, A a longtemps cherché l’amitié en vain. Il pense que lorsque l’on cesse de vouloir quelque chose, alors on l’obtient.
Andy se sent peu aimé. Il a d’ailleurs horreur être touché. Quand il cherche après des amis, il trouve le rejet. Quand il ne cherche plus, les gens se confient à lui. Il n’aime pas cela. A n’a de problèmes propre, il pense simplement endosser ceux des autres.
La relation la plus approfondie qu’Andy entretient est avec sa « femme », qui est un magnétophone. Un magnétophone est capable d’écouter et de répéter. Cela se base sur le fait qu’une relation suivie consiste à ressasser sans cesse les mêmes choses.
Cependant A aime se sentir entouré, d’où l’emploi de B.
Le plus bel amour est celui auquel on ne pense pas, ou celui qui ne se réalise pas, comme dans le cadre d’une relation téléphonique. Pour A l’amour est désillusion. Ce que l’on veut nous faire croire n’est pas ce que l’on vit. L’amour, le sexe, la beauté devraient être enseignés à l’école. Le meilleur moyen de montrer cela reste le film. Pas le cinéma. Le film. Les siens montrent par exemple comment deux personnes peuvent faire connaissance. Cela a un but sociologique, empirique. Le cinéma, lui, est si puissant qu’il anesthésie les émotions réelles, de fait que celles-ci semblent dés lors sorties tout droit d’un écran.
A est marqué par la désillusion. Cela se base sur le simple constat que « tout change si vite qu’on a aucune chance de retrouver intacte l’image de ses rêve lorsque on est enfin prêt à les affronter ». On cherche toujours l’image de ce que l’on a considéré comme fantasme. Les gens frigides sont prêts à aller beaucoup plus loin pour cela.
Lorsque l’on réalise ce fantasme, celui-ci semble fade par rapport à l’espérance entretenue jusque là.
L’inconnu possède une aura, qui nous touche. Mais elle s’évanouit dés le premier contact. En vérité, ce n’est pas la chose elle-même que l’on désire, mais l’idée que l’on se fait de la chose.
Cela nous mène à une autre préoccupation importante de A : la beauté.
A est sensible à la beauté, il rêve d’être une beauté lui-même. Il essaiera même d’être mannequin à plusieurs reprises.
Il prête une attention particulière à l’apparence. Il se maquille, utilise des barrettes pour tendre sa peau et moins vieillir.
Cependant A sait qu’il n’y a pas de beauté totale. Elle est éphémère ou mal repartie. Il faut toujours être clair sur ces défauts d’apparence et les annoncer dés le premier contact. Après, dans le cas d’un intérêt plus profond pour vous, on ne pourra pas vous les reprocher. Cela vaut pour les tous les défauts, temporaires ou permanents.
Si les années passent, une beauté ne change pas; elle reste belle. Quand on est démodé, il faut s’accrocher. Si le style est bon, il reviendra et vous serez à nouveau une beauté.
La beauté est une loi de la majorité. La différence peut donc être belle si elle brise la monotonie de la beauté.
La beauté peut être accrue en passant sur pellicule grâce au magnétisme de l’écran.
La beauté personne est différente de la beauté photo. En passant sur ce medium elle gagne une demi dimension. Dans un film elle gagne une nouvelle dimension complète car elle se situe dans l’action. L’action est importante, c’est pour cela que les parleurs sont magnifiques. Ils « font » alors que les beautés « sont ».
Néanmoins, si il est possible d’accroître la beauté, il est plus simple d’enlaidir quelque chose. Selon A, il suffit de la rendre sale. La saleté enlaidit. On retrouve une obsession du propre chez WARHOL.
Ce qui procure un véritable sentiment de propreté chez A, c’est l’argent. Il est peut être passé de mains en mains, mais il « lave » Andy.
L’attrait pour l’argent est une constante chez lui, tant et si bien que l’argent devient la condition de son bonheur.
Son intérêt se porte avant tout sur l’argent en tant qu’objet, surtout l’argent américain. Il n’utilise que du liquide, il l’utilise par poignée.
L’argent est important car il signe la hiérarchie dans la société américaine. Il est suspect d’avoir trop d’argent dans la vie de tous les jours, car la masse n’est pas censée avoir beaucoup d’argent. Néanmoins A cultive un certain goût pour la simplicité ; il aime dépenser son argent dans des choses communes. Andy dépense par jalousie, il achète des choses car il ne supporte pas l’idée que quelqu’un d’autre puisse les acheter et qu’elles soient valables. Cela prévaut pour tout.
Il aime dépenser pour dépenser. Il peut prendre un taxi pour aller à la banque retirer de l’argent pour payer cette même course de taxi.
L’argent lui sert aussi à acheter des amis.
Tout comme l’argent, Andy collectionne les preuves d’achat. Il aime les étaler et les contempler. C’est l’objet argent et la transaction qui intéresse A, et non le capital. Cela explique en partie la perception qu’il a de l’art.
L’art est une valeur marchande, à tel point que l’œuvre ultime à ses yeux serait d’accrocher telle quelle une liasse de billets au mur plutôt qu’un tableau.
A en tant qu’artiste évolue pour devenir non plus créateur d’art, mais producteur d’art.
Son atelier, « l’usine », compte de nombreux exécutants.
Ce qui est intéressant dans le fait de faire travailler d’autres personnes pour vous, outre le fait de pouvoir produire plus, réside dans la « transmutation ». Quand A donne des directives, il s’agit de communication, de « transmission ». Lorsqu’il y a une incompréhension dans cette transmission, elle se répercute sur la globalité du processus de création de l’œuvre. Au final entre l’œuvre attendue et l’œuvre effectuée, il y a des différences. L’œuvre a transmutée, et cela devient à la longue plus intéressant. Il faut partir du constat que l’échec n’est qu’un point de vue. « On peut rire ou pleurer de chaque situation ».
A aime travailler avec les échecs, les rebus, les laissé pour compte, car le bon goût n’est pas l’unique possibilité. La différence compte. Cela se retrouve dans les « screen tests » de la Factory. Il y film les gens passant dans son atelier pendant quelques minutes. Ainsi ces gens, classés comme peu fréquentables, laissent deviner leur nature sans crainte du jugement, par le biais de l’objectif. Il y a là beauté brute et observation.
L’échec est la différence. Etant différent, il est donc possible d’en faire une vedette. A se moque donc des critiques. Il estime que les critiques ne sont pas au goût du jour, dans le domaine artistique, car une œuvre ne parait neuve que dix ans plus tard.
Cette philosophie du rebus sied parfaitement au mode de vie New-yorkais. « A New York, on veut toujours ce que les autres ne veulent pas » affirme-t-il. Cela doit être dû à un besoin d’exister dans la masse.
Pour A, un artiste, c’est quelqu’un qui produit des choses dont les gens n’ont pas besoin, mais qu’il estime souhaitable de leur donner. L’art en tant que tel (création d’objets artistiques) est la première étape du travail de A, artiste commercial. La seconde est l’art des affaires. « Faire de bonnes affaires, c’est l’art le plus fascinant ». Son « équipe », était capable de produire sans que lui soi présent, elle présentait une production régulière et mercantile « à la manière de ». WARHOL désirait devenir un busines man de l’art.
Pour vendre beaucoup, il faut s’adresser à beaucoup de monde. Pour ce faire A a toujours désiré avoir son propre show télévisé, il se serait appelé le « Nothing special show ». Le principe : faire passer des personnes à la télévision sans qu’elles n’aient rien de particulier à dire. Le fameux « quart d’heure de célébrité » en somme.
Cependant, A est mal à l’aise face aux cameras. Il n’a pas la « magie télévisuelle ». La « magie télévisuelle » touche les professionnels de la télévision, les comédiens. Ceux-ci semblent déprimés, fatigués, aigris hors caméra, dés que celle-ci s’allume, ils sont rayonnants et sympathiques. A ne peut pas jouer la comédie. Les gens de télévision s’allument en même temps que la caméra. A, lui, s’allume lorsqu’il éteints la télévision. Cela est très paradoxal, car il est obsédé par la télévision, elle est allumée le plus longtemps possible. Cela le distrait assez pour que les problèmes des autres ne l’affectent pas. Mais l’extinction de la télévision semble tout de même être une forme de délivrance pour lui, il entretient un rapport de drogué avec la télévision.
A se comporte comme si il était une télévision. « Une journée entière de vie, c’est comme une journée entière de télévision […] à la fin de la journée, la journée entière sera un film. ».
A gère le temps de manière télévisuelle. Chaque jour est un jour nouveau. A agit comme s’il n’avait pas de mémoire, il aime se faire raconter des événements passés par différentes personnes. Chaque version est une nouvelle information.
A n’aime pas la durée. A ses yeux Rome est affreuse. Il refuse l’éternité, seul le présent compte. Le temps est bien quand il reste à un seul niveau : 5 ans, 60 ans, 2 jours c’est la même chose. Selon lui, les choses sont passionnantes dés qu’on les fait une fois. Une fois par jour, ou chaque jour. Sinon elles sont banales.
Ce refus du long peut être lié à la beauté, au refus de la vieillesse ; mais il s’inscrit surtout dans une logique économique. Ce qui dure n’a pas besoin d’être remplacé, et cela génère de l’oisiveté.
Cette incursion dans la façon de penser « Wahrolienne » m’a bien renseigné sur sa perception de la société de consommation de masse. Pour A, nous vivons dans un seul grand espace que nous divisons en espace plus petits. Il en va de même pour la pensée. Plus nous sommes nombreux à vivre en société, plus nous cherchons à diviser et regrouper ce qui nous entoure.
La vraie richesse serait d’avoir un seul grand espace vide. Le reste n’est qu’illusion.
Comment peut on manquer de quelque chose alors qu’il y toujours autant de matière dans l’univers ? Ceux qui font croire le contraire, les publicitaires notamment, le font pour faire croître les prix.
La publicité, qui est mon sujet de recherche fait notamment partie de cette illusion dont parle A. Il est donc bien conscient des fins et moyen de la publicité (et des entreprises qu’elles représentent). On fait tellement de publicité que c’est dur de ne pas y penser. « J’achète des produits et j’y pense énormément » dit il.
La posture de WARHOL est ambiguë. Il fut publicitaire. Il joue le jeu de la consommation. Se place comme « cobaye ». Néanmoins, il reste lucide sur les mécanismes commerciaux qu’il a très bien compris, et on sent qu’il ne voit là que la superficialité de sa société.
En vérité j’ai du mal à me faire une opinion précise sur sa perception de la société de consommation. Il reste évasif, dit une chose, puis son contraire.
J’ai trouvé que sa vision était parfois trop caricaturale, emprunte de généralité et de préjugés.
Un exemple : « Ce qui est vraiment américain c’est l’égalité. Les plus riches achètent la même chose que les plus pauvres. Un coca reste un coca. » Je pense que ceci est valable en théorie, mais dans la pratique je ne pense pas que tout les américains ressentent cela. C’est une forme d’égalité arrangeante.
La philosophie de WARHOL est à mon avis celle de la consommation absolue. Cette attitude quasi-maladive reflète ce vers quoi le système de consommation de masse nous fait tendre. En cadrant entièrement avec cette idéologie, Andy WAHROL devient un exemple, mais également un cobaye.
Il adopte tout ce qui rejoint l’idéologie de la surconsommation : refus de la durée, de la vieillesse, culte du produit et de la vente, marchandisation des êtres humains et des sentiments, détournement des valeurs morale collectives, concentration de la richesse, analyse profonde de la consommation.
En remplaçant cette attitude dans son contexte historique, cet ouvrage démontre à quel point le système média-publicité-entreprise peut s’imprégner dans une personnalité. De plus lors de ses voyages, A constate les prémices de la mondialisation, avec moins de l’étonnement que de l’ironie.
L’ironie. C’est peut être un des mots qui qualifie le mieux l’angle dont WAHROL appréhende la vie qui l’entoure.
En vérité, tout au long de ce livre, je n’ai su comprendre avec certitude si WAHROL agissait de la sorte avec ferveur ou par une sorte d’obligation. Il visait bien sur son enrichissement propre, et a cherché les moyens d’y parvenir. Il s’est façonné un rôle sur mesure.
En effet, bien qu’il loue le mode de vie capitaliste, à maintes reprises l’on perçoit un malaise par rapport à l’acceptation de ce style de vie, une certaine ambiguïté entre ses actes et ses paroles (officielles pourraient t-on dire); et quelque traits de lassitude, quelque pensées à contre courant de ses « préceptes ».
Ce qui me pousse à penser cela, réside dans le fait que la publicité, en tant qu’avatar de ce système, vise à garder les gens simple et stupides. « Keep them simple and stupid ».
Or Andy WAHROL réfléchi, réfléchi même beaucoup. Il a compris comment marche la consommation aux états unis, et entrevoit son devenir (multiplication des chaînes de télévisions, star system, etc.). En a-t-il entrevue sa fin ?
Néanmoins la question n’est pas de savoir si il était pour ou contre ce mode de vie, et je ne pense pas que ce soit le but que WAHROL s’était fixé.
Ce qu’il nous livre, c’est un exemple, un fait. Celui d’un consommateur modèle.
A nous, donc, d’en tirer des conclusions.